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Nikolai Makarov et les courses de blattes

Voici un article AFP d'une rare qualité littéraire, 
l'ambiance y est ... enivrante:

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Coup de pistolet dans un loft berlinois : Ivan, Dukat, Olga III et les autres se mettent à courir, sous les vivats de noceurs qui ont tout juste misé sur leurs petites têtes de cafards.

Autour de la table à couloirs où se lancent les sept insectes s'agite un autre petit monde nocturne : une actrice célèbre, les pieds nus, des artistes de passage aux lunettes fumées, une intouchable beauté qui a coincé son coupon de pari sous la bretelle rouge d'un bustier en soie. Des "Vive la révolution !" et "Musique !" fusent de la petite centaine de spectateurs imbibés de vodka.

Mais l'accordéoniste, auteur de la ballade "Un cafard célibataire", a posé son instrument pour encourager les petites bêtes qui s'activent en direction de la ligne rouge.

"Mesdames et messieurs, nos créatures n'ont rien à voir avec les blattes qui hantent vos cuisines", annonce un maître de cérémonie en roulant de l'oeil. "Les nôtres ont d'illustres ancêtres. Elles suivent un régime spécial. Elles sont élevées avec amour !"

Il est minuit. La course, retransmise sur un écran au mur, est offerte par le maître des lieux, Nikolaï Makarov, en l'honneur de son 52e anniversaire. C'est lui qui a délicatement déposé dans les casiers de départ une à une ses blattes qui lui filaient des mains.

Ce peintre à succès les a rapportées de son atelier voisin, où vivent dans l'insouciance cent-vingt de ces cafards galopants. "De l'espèce Certamen currentium blattarum", précise-t-il à l'AFP.

"Leur entraîneur -un Ukrainien- vient une fois par semaine les faire courir. Il leur apprend aussi à s'habituer aux caméras", dit l'artiste qui a émigré à Berlin-Est en 1975. Depuis, Makarov a régulièrement fait débouler ses blattidés chevronnés dans les hauts-lieux de la vie berlinoise : dans l'appartement du dissident Wolf Biermann, au "Paris-Bar", à la Berlinale, le festival de cinéma, ou encore pour le marathon...

"Il faut se mettre à la place des cafards : les deux mètres de la piste, ça fait comme un cent mètres pour nous. D'ailleurs ils ne sont pas bêtes : s'ils ont pris un mauvais départ, ils rebroussent souvent chemin voyant que ça ne sert plus à rien", dit Makarov, à la barbe tolstoïenne.

Dans des vivariums, les corps des idoles reposent agrémentés de courtes épitaphes. "Général Orloff. A ses côtés les adjudants Vladislav et Sergueï". Ou bien "Tamara. 05-11-99. 20-02-02. Découverte dans la station de métro moscovite Place de la révolution. A eu une très courte carrière". Et une autre Tamara qui gît sous son trophée. "Morte écrasée par sa médaille d'or gagnée à Salt Lake City".

La course bat son plein. Tout va se jouer dans un mouchoir de poche entre Ivan, le plus grand avec ses sept centimètres, Pionier, "très roublard", et Pamir, "un héros dans son pays natal".

"Ces courses de cafards, c'est un peu de l'histoire russe que j'ai prise avec moi en émigrant", explique Makarov. "Elles étaient appréciées dans la cour des tsars. Puis les Russes qui ont fui le communisme par la Mer Noire leur ont donné des lettres de noblesse à Constantinople, l'actuelle Istanbul, où les blattes sont bien plus grosses qu'à Moscou !"

Les courses, immortalisées par Mikhaïl Boulgakov dans son roman "La fuite" (1928), "étaient aussi très prisées par la diaspora à Paris", ajoute le peintre qui compte bientôt relancer la tradition dans la capitale française.

Hurlements dans le loft. Pamir a franchi le premier la ligne. Andy Hasse, un Américain "venu exprès de Londres", a gagné. Il s'étonne encore d'avoir parié 50 euros. "C'était la vodka. Et cette fille là-bas".

Source : article et photos AFP

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