Le mimétisme chez les blattes...
Le titre de cet article est volontairement trompeur… à l’image de notre sujet.
Le mimétisme est un phénomène rarissime, et est souvent employé par abus de langage pour exprimer une homoplasie ou convergence évolutive.
Attelons-nous donc à la convergence évolutive avant de voir s’il existe de véritables cas de mimétisme :
Pour faire simple, l’homoplasie correspond à une ressemblance morphologique entre deux espèces.
Cette ressemblance dans l’apparence ne procède pas d’une filiation phylogénétique qui supputerait l’idée d’un ancêtre commun (symplésiomorphie) mais d’une réponse convergente à une problématique environnementale commune.
En clair : Si l’insecte B ressemble à l’insecte C, ce n’est pas parce qu’ils ont le même ancêtre A, mais parce qu’ils se sont adaptés et ont évolué de la même façon pour faire face à un même environnement O, ou à des environnements semblables O et O’ géographiquement dissociés.
Voyons donc dans nos élevages quelles surprises de convergences évolutives nous réservent nos blattes… de la plus anecdotique à la plus troublante:
Premier cas de pseudo-mimétisme intéressant, la blatte indienne Therea sp. (dans nos élevages T. petiveriana, oleograndjeani, par exemple…) qui par sa forme ronde et ses couleurs contrastées ressemble à un coléoptère…. par exemple, le Silphidae Necrophila americana. Même si la ressemblance de la forme est amusante, on ne peut parler ici de mimétisme et l’usage du concept de convergence évolutive reste abusif…et semble procéder plus d’une habitude très étasunienne à draper systématiquement l’altérité de ce qu’il connait déjà !
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Therea petiveriana
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Silphidae Necrophila americana
Toujours en Asie, une petite blatte fort étrange commence à se trouver dans nos élevages européens : la Corydidarum pygmaea. Cette petite curiosité Taïwanaise a évolué d’une façon très surprenante puisqu’elle a exactement la même apparence qu’un glomeris…
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Orydidarum pygmaea
Glomeris connexa
La plus connue, ou la plus repérable puisque le phénomène est inscrit dans son nom vernaculaire anglo-saxon, est la Pacific mimic beetle, qu’on peut traduire maladroitement par : la-blatte-du-Pacifique-qui-imite-le-scarabée.
En effet, la Diploptera punctata, petite blatte présenteen Asie et dans les îles du pacifique ressemble énormément à un coléoptère. Alors que bon nombre de ces congénères blattariennes arborent –lorsqu’elles en sont pourvues-des ailes souples et fines, celles de la D. punctata sont dures et rigides à l’âge adulte.
La couleur marron de son corps accentue la ressemblance avec un petit coléoptère présent lui aussi dans le pacifique : Phyllophaga (il s’agit plus précisément d’un genre regroupant de nombreuses espèces).
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Diploptera punctata
Phyllophaga
Autre cas, tout aussi populaire, la firefly beetle mimic cockroach ou Schultesia lampyridiformis : cette jolie blatte présente en Amérique centrale et Amérique du Sud, ressemble à s’y méprendre à une luciole. En effet les lampyrinae semblent être la copie conforme de notre blatte.
Cette ressemblance permet à la blatte d’être à l’abri d’un certain nombre de prédateurs n’appréciant pas le goût des lucioles…bien pratique lorsque l’on sait qu’elle vit dans les nids d’oiseaux de la famille des caciques.. fort friands d’insectes !
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Schultesia lampyridiformis
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Pyractomena lucifera
Entrons maintenant dans l’univers des blattes que nous ne trouvons pas dans nos élevages :
…Et pour cause ! : Lucihormetica luckae, une espèce de blattes dont seulement un seul spécimen a été trouvé en 70 ans ! Cette découverte a été largement relayée sur la toile puisque c’est un cas exemplaire de bioluminescence. Comme Schultesia lampyridiformis , sa ressemblance avec un autre insecte lui permet d’échapper aux mauvaises rencontres: il s’agit du taupin Pyrophorus, espèce toxique pour ses prédateurs qui arbore deux points bio luminescents.
Lucihormetica luckae
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Pyrophorus
Une blatte non encore identifiée vient de faire l’objet d’une publication dans l’Entomological Science : il s’agit d’une blattinae présente au Viet Nam dont le modèle est un carabe, Craspedophorus sublaevis , fort présent au Cambodge et Viet Nam. Ce carabe possède des glandes secrétant un liquide anti-prédateur ce qui le rend particulièrement intéressant à imiter ! Ainsi, la blattinae arbore comme son modèle une couleur uniformément noire avec 4 points jaunes ..
Mais le mimétisme va plus loin ! Jugez plutôt : les scientifiques ont remarqué sur le devant du pronotum de la blatte deux petits points oranges, absents des spécimens de carabes secs présents dans les collections. Or, en capturant des spécimens vivants de Craspedophorus ils ont notés que les élytres des carabes font souvent l’objet d’un champignon parasite de l’ordre des Laboulbeniales… de couleur orangée !! Nous avons donc là, selon les auteurs de l’article, un cas absolument indéniable de mimétisme.
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(source : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1479-8298.2012.00529.x/pdf)
Enfin des blattes mythiques pour tous les roach-addicts ! les Prosoplecta ou blattes coccinelles d’Asie… les rares photos disponibles sur le net sont sujettes à caution, mais les dessins entomologiques laissent rêveurs…
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Il est temps de conclure nos lectures et découvertes documentaires : la majorité des ressemblances entre espèces vient de cas d’adaptation similaires à des facteurs environnementaux comparables…on parle dans ce cas de convergence évolutive.
Cependant, on peut parler de mimétisme batésien (Henry Walter Bates, entomologiste au XIXème siècle) chez certaines espèces de blattes : celles-ci –inoffensives- imitent (les scientifiques les appellent les mimes) une espèce nocive pour échapper aux prédateurs… sans avoir à produire des toxines !… Cela parait être le cas chez au moins trois espèces que nous venons de voir : Lucihormetica luckae, Schultesia lampyridiformis, mais c’est pour Blattinae sp. du Viet Nam, que la notion de mimétisme batésien semble être la plus évidente.
Un dernier point qui me semble important :
.. D’un point de vue plus philosophique, -je- pense qu’il ne faudrait pas se méprendre sur ce que les scientifiques appellent l’imitation… Il ne s’agit en aucun cas de l’expression d’une quelconque intentionnalité mais d’une convergence de hasards débouchant sur une solution logique à une problématique environnementale :
Pour faire clair, dans l’exemple des blattinae, la blatte ne décide pas de ressembler à tel ou tel animal pour échapper à tel prédateur…elle n’est pas non plus téléguidée par un Dieu qui découvre les lois de sa propre création ( !) mais il se trouve que –par hasard- les individus présentant –par hasard - des débuts de coloration (des points jaunâtres ou clairs) échappent aux prédateurs plus que les autres, et par un phénomène de sélection naturelle, les points jaunes s’accentuent pour devenir quasi- semblables aux point des carabes..
La nature peut est considérée comme une puissance de vie, un jaillissement perpétuel.. il faut s’imaginer un torrent cherchant sa route sur le flanc d’une montagne : l’eau se jette de toute part de façon hasardeuse, aberrante, anarchique, elle semble tâtonner, se faire refouler par un rocher, se divise face à un tronc d’arbre, mais dès qu’elle trouve un interstice, une faille, un chemin elle s’y engouffre pour y faire son lit et continuer sa progression. Lorsque plus tard, le promeneur découvre l’endroit, il lui arrive de croire que la montagne a été faite pour ce torrent, ce torrent pour cette montagne et que de toute éternité cette harmonie était prévue.
Vous voyez, qu’à partir de la même observation scientifique les «récits » construits par les sociétés peuvent être très différents : certains verront dans ces mimétismes une formidable machine construite par un grand horloger, d’autres y verront l’expression d’une intelligence animale, d’autres l’extraordinaire mécanique du hasard.. Qui a dit que la science apportait des réponses ?
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Lucihormetica et jawas.. même combat !
(source : http://io9.com/5937377/these-glow+in+the+dark-cockroaches-look-exactly-like-jawas)
